vendredi 22 août 2014

Pourquoi les appelle-t-on les "sélectionneurs"?


Lors d’une conférence organisée par IBM sur la gestion des talents, Daniel Costantini, l’ancien « sélectionneur » de l’équipe de France de handball, a mis le doigt sur une curiosité de langage. Il s’étonnait que les médias et le grand public l’aient au cours de sa carrière souvent désigné comme le « sélectionneur » de l’équipe de France de Handball, plutôt que comme son « entraîneur ».

Je repends son étonnement à mon compte. Pourquoi utilise-t-on majoritairement le terme de « sélectionneur » pour décrire la fonction occupée par Didier Deschamps (football) ou encore Claude Onesta (handball) ?


L’acte de sélection est certes une composante essentielle de leur fonction. Prendre les meilleurs joueur possibles est à la fois une clé du succès et un challenge compliqué, tant les critères à prendre en compte sont nombreux : expérience, qualités techniques et physiques, forme du moment, personnalité, motivation, relationnel avec le staff et les autres athlètes, etc.


Cependant le rôle de recruteur n’est que l’un des aspects d’une fonction nettement plus complexe. Pour amener un groupe à la haute performance, bien sélectionner les joueurs ne suffit pas. Il faut aussi fixer des objectifs, assigner des tâches, organiser son staff, encourager les joueurs, donner du feedback, savoir féliciter ou encore recadrer.

Pourquoi toutes ces activités, toutes aussi nobles et importantes pour la réussite sportive que le seul acte de sélection, sont-elles occultées par le langage courant ?

Une première explication : ces activités post-sélection sont moins visibles. Là où l’acte de sélection est par définition public et souvent fort médiatisé, les autres activités de management se font majoritairement dans l’intimité du groupe, voire de la relation interindividuelle avec chaque membre du staff et de l’équipe.

Je vois un deuxième élément d’explication : l’acte de sélection est spectaculaire. Il y a les élus et les déçus. Il peut créer des destins exceptionnels, ou au contraire briser des rêves et des carrières. Il peut générer des dissensions et des rancunes tenaces. En d’autres termes, l’acte de sélection porte en lui les ingrédients du fait divers.  Bien plus que le fait de féliciter un joueur ou de réaliser un briefing avant un match.

Enfin, l’utilisation du terme « sélectionneur » est aussi une manière d’accentuer la différence avec  le rôle de l’entraîneur de club. Pour l’entraîneur de club, la question de la constitution du groupe  ne se pose qu’une à deux fois par an, à l’occasion du mercato. Par ailleurs, l’entraîneur de club vit en quasi continu avec les joueurs et le staff, là où le sélectionneur ne vit avec son groupe que par intermittence. Le ratio « sélection » vs. « autres activités de management » est donc plus élevé pour l’entraîneur national que pour l’entraîneur de club, ce que le langage commun met donc implicitement en évidence en qualifiant l’entraîneur national de « sélectionneur ». 

vendredi 16 mai 2014

Comment sélectionner ? La méthode Deschamps

Chaque amateur de football en France aura son avis personnel sur la qualité de la sélection annoncée par Didier Deschamps pour la Coupe du Monde au Brésil. Plus que le contenu de la sélection, c'est la manière de sélectionner qui a attiré mon attention. Et en bien!


D'abord, Didier Deschamps a fait le choix de ne pas convoquer 30 joueurs pour la préparation, mais 23 +7. La différence semble infime, elle est en réalité de taille. Toute incertitude est levée sur le statut des joueurs : il y a ceux qui iront au Brésil et ceux qui seront là pour les préparer (et les suppléer en cas de blessure).  Ce choix a plusieurs conséquences positives. D'une part, Didier Deschamps évite à ses joueurs le stress généré par l'incertitude de l'avenir. Les joueurs préservent ainsi un influx nerveux qui leur sera fort utile pour la phase de compétition. D'autre part, le sélectionneur envoie un signal de confiance aux 23 titulaires. On pourrait le formuler ainsi: "Vous n'avez pas été sélectionnés de justesse, après un ultime stage de préparation, mais parce que je crois en vous depuis un moment. Votre sélection est une évidence pour moi." Enfin, il crée des conditions propices à la cohésion de groupe : la compétition pour s'attirer les faveurs du sélectionneur est nécessairement moins vive lorsqu’on a déjà en main son billet pour le Brésil.

Ensuite, le choix des 7 réservistes n'est pas anodin. Deschamps n'a pas nécessairement pris les 7 meilleurs, mais ceux qui seront les plus à mêmes de remplir avec bonheur le rôle de réserviste. Le profil type ? Peu de sélections au compteur (donc peu d'aspiration déçues, mais au contraire une bonne dose d’enthousiasme) et une personnalité compatible avec le statut de remplaçant (cf. la non-sélection de Samir Nasri).

Pour finir, Deschamps préserve un équilibre de groupe qu'il a dû juger satisfaisant lors des derniers rassemblements.

En conclusion, ce qui est particulièrement notable dans cette stratégie de sélection, c'est qu'elle s'appuie tout autant sur des critères psychologiques et de dynamique de groupe, que sur des critères purement sportifs.




vendredi 10 janvier 2014

Alors, on vire qui?


Après une série de défaites, il est coutume dans le sport professionnel, de prendre des décisions radicales.
Des têtes doivent tomber! Oui, mais lesquelles? Faut-il se séparer de certains joueurs ou bien virer l'entraîneur? Si on veut redresser la barre, mieux vaut ne pas se tromper, et mettre les bonnes têtes sous la guillotine...

A première vue, ce n'est pas l'entraîneur qui est sur le terrain. Ce n'est donc pas de la faute de l'entraîneur si tel handballeur fait systématiquement le mauvais choix, si tel skieur sort du parcours tous les week-ends, ou si telle équipe de football enchaîne les défaites. Qu'est-ce que le coach a à voir avec des erreurs tactiques, des maladresses techniques ou encore des errances psychologiques?

Oui mais...
Qui a sélectionné les joueurs? Qui les a préparés pour la compétition, parfois depuis des années, tant du point de vue mental, technique, physique que tactique? Qui n'a pas su trouver les mots justes en cours de partie pour changer le cours du match, et a au contraire plombé son équipe par ses choix? L'ENTRAINEUR. Virons-le !


Oui mais....
Qui a confié les clés de l'équipe à  l'entraîneur? Qui a défini son rôle, lui a confié des missions, l'a managé au quotidien, a contribué à faire de lui, au final, un entraîneur en difficulté? LE PRESIDENT! Ce serait donc finalement la faute du président de club ou de fédération si, sur le terrain, le handballeur a tiré au lieu de passer, si le slalomeur est parti à la faute et si le footballeur s'est fait expulser. Qu'il s'en aille donc!

Oui mais...
Le président lui même n'est-il pas victime d'un environnement qui a largement déterminé son comportement? Les actionnaires, les sponsors, la conjoncture économique, les supporters, le Ministère... Quelqu'un d'autre, dans le même contexte, aurait-il pu faire mieux?

Alors que faisons-nous? Difficile de virer tout le système!

Plutôt que de trouver un bouc émissaire à chaque défaite, sans doute serait-il plus sage:
- de prendre le temps d'analyser, pour le système concerné, les forces et les faiblesses de chacun des acteurs : direction, entraîneurs, athlètes.
- de ne pas raisonner forcément en termes de sanction, mais d'aider à chacun à se développer, à s'améliorer, et à devenir, au final, un artisan du succès.







mardi 19 février 2013

Quels objectifs fixer à un sportif?

Rentrer dans les vingt premiers au classement. Etre sélectionné en équipe nationale. Battre tel adversaire.
Le point commun entre ces objectifs? Ce sont tous des objectifs de résultats, ceux qu'un sportif et son entraîneur ont tendance à se fixer, au début d'une saison ou avant une compétition. L'intérêt de se fixer des objectifs de résultats est clair : ces objectifs sont stimulants et leur atteinte est facile à évaluer. 

Quelles sont les bonnes pratiques en la matière ?

Il est d'abord important de bien calibrer la difficulté de l'objectif. Un objectif trop facile ne sera pas suffisamment motivant. A contrario un objectif trop difficile, et dont l'athlète s'apercevra progressivement qu'il est inatteignable, aura tendance à décourager.

Il est également conseillé d'associer à chaque objectif de résultat des objectifs de comportements, c'est à dire de définir avec l'athlète les comportements qu'il doit mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif fixé.  Etre sélectionné en équipe nationale : très bien, mais comment faire? Pour un athlète, cela passera par exemple par des comportements comme améliorer son hygiène de vie, faire évoluer sa technique, aller dans un nouveau pôle d'entraînement, travailler sa confiance en soi.  Les objectifs de comportements ont le mérite de centrer l'athlète sur ce qu'il a à faire concrètement. Ils sont aussi moins anxiogènes pour un athlète que des objectifs de résultats. Car mettre en oeuvre un comportement dépend essentiellement de soi, tandis qu'obtenir un résultat dépend aussi de multiples facteurs externes, moins contrôlables.

Enfin, des objectifs trop lointains ne sont pas assez motivants. Avoir une médaille aux prochains JO, lorsque ceux-ci ont lieu 4 ans plus tard, ne dit rien du chemin à emprunter d'ici là. Fixer des objectifs à court et moyen terme permettra ainsi d'obtenir un meilleur investissement de l'athlète.


jeudi 13 décembre 2012

Le briefing d'avant-match



Le briefing avant le début d'un match ou d'une compétition constitue un levier d'action privilégié pour l'entraîneur : c'est l'occasion de créer des conditions favorables à la performance. Mais qu'est ce qu'un briefing efficace? Difficile de faire des généralités tant le contexte peut varier : sport individuel vs. collectif, importance de la compétition, conditions psychologiques dans lesquelles les athlètes l'abordent (confiance, anxiété), nature de l'adversaire, possibilité pour le coach d'intervenir en cours de compétition ou non. Voici néanmoins quelques repères importants pour réussir le briefing :

- il doit être court : la capacité d'attention des individus est limitée, encore plus dans une situation potentiellement stressante. Il faut donc se focaliser sur le ou les messages essentiels.

- il doit être spécifique : quoi de plus ennuyeux pour un sportif d'entendre toujours les mêmes phrases, compétition après compétition, match après match. Un discours entendu 10 fois, 15 fois perd clairement en efficacité. D'autant qu'on n'aborde pas une compétition à domicile comme une compétition à l'extérieur, ni une partie dans la peau du favori comme celle dans la peau du challenger.

- il doit être centré sur ce que les athlètes doivent faire, plus que sur l'enjeu ou l'adversaire. Cela a le mérite de donner un sentiment de contrôle de la situation aux athlètes, et de centrer leur attention sur des éléments qui dépendent d'eux. Cela permettra aussi après la partie d'évaluer la performance des athlètes non en fonction du résultat, mais en fonction des comportements attendus.

- il doit être adapté aux besoins des athlètes : certains entraîneurs réalisent même des entretiens en cours de saison, en amont des échéances les plus importantes, pour demander à leur athlète ce qu'ils attendent de leur entraîneur dans les minutes qui précèdent la compétition. Bien connaître son athlète permet ainsi au coach d'avoir la posture la plus adaptée.

- il doit être positif : l'activation dite "négative" est à manier avec la plus grande prudence. Le fait d'insister sur les risques, de critiquer et a fortiori de menacer provoque généralement un excès de stress chez les athlètes. Mieux vaut encourager, motiver, positiver.

- enfin, pour toutes les raisons évoquées plus haut, et compte tenu de l'incidence qu'il peut avoir sur la performance des athlètes, il doit être préparé.

mercredi 21 novembre 2012

"Ils ne mouillent pas le maillot!"

Lorsque leur club favori subit une série de défaites, c'est souvent la même explication qui revient chez les supporters : "Les joueurs ne mouillent pas le maillot. Ils ne font pas les efforts. Ce sont des mercenaires, ils s'en fichent du club." Explications données avec des trémolos d'indignation dans la voix.

Le point qui m'interpelle : pourquoi les supporters privilégient presque toujours cette explication-là? Je ne dis pas qu'elle est fausse, elle s'applique sans doute dans certains cas. Mais certainement pas dans la majorité. Bien d'autres raisons peuvent expliquer une série de défaites : un niveau de jeu trop faible, une crise de confiance, une fatigue due à l'accumulation des efforts, un manque de réussite, des conflits au sein du groupe... Alors pourquoi cette explication revient si facilement dans la bouche des fans, parfois contre l'évidence même?


C'est parce qu'elle leur procure des bénéfices : pas au sens financier bien sûr, mais au sens psychologique. Pas toujours conscients, mais pour autant très puissants. Quels sont-ils?


  • De l'espoir : si les joueurs mouillent enfin le maillot, le club redressera la barre. Ce serait par exemple beaucoup plus désespérant d'expliquer les échecs successifs par un manque de talent : difficile d'élever son niveau du jour au lendemain.
  • Un échappatoire à leurs émotions négatives : face à de mauvais résultats, un supporter expérimente des émotions négatives : tristesse, amertume, colère. Il est utile dans ce cas d'avoir un bouc émissaire sur qui cristalliser ses émotions. Les joueurs, avec l'entraîneur, sont souvent des coupables tout désignés. Il est plus facile de s'énerver contre quelqu'un qui ne fait pas d'effort, que contre un pauvre bougre en manque de confiance, de réussite, ou de talent.
  • Un bénéfice identitaire : en mettant les joueurs plus bas que terre, on apparaît par comparaison comme quelqu'un de bien. "Avec tout ce qu'ils gagnent en plus!" (comprendre : par rapport à moi qui gagne beaucoup moins et qui pourtant soutient l'équipe à fond). "Ce ne sont que des mercenaires" (comprendre : par rapport à nous qui soutenons le club depuis toujours, nous, les vrais piliers du club).

Il ne s'agit pas de dire que les supporters qui réagissent ainsi ont tort sur le fond. Il arrive effectivement que des équipes ou des joueurs démissionnent. Il ne s'agit pas non plus d'assimiler ces supporteurs à des calculateurs machiavéliques (ces "calculs" sont bien souvent inconscients).  Mais d'affirmer que les supporters sélectionnent souvent cette explication parmi d'autres, parce qu'elle présente pour eux un meilleur ratio coûts/bénéfices.

mercredi 7 novembre 2012

Après quoi courent-ils?


Derrière l'image habituelle du sportif beau, jeune, riche et en bonne santé, se cache souvent une toute autre réalité : la vie du sportif de haut niveau n'a rien d'évident. Les sources de stress sont nombreuses : difficultés à conjuguer la carrière sportive avec la vie familiale, scolaire ou professionnelle; incertitude du résultat, pression liée aux attentes des proches et du grand public, incertitudes sur le renouvellement des contrats, blessures. Bref, le parcours du sportif est souvent un parcours du combattant fait de sacrifices, de moments de doutes, de tensions fortes. Vu  sous cet angle, on peut légitimement se demander ce qui motive les sportifs à mener une carrière à haut niveau. Autrement dit, APRES QUOI COURENT-ILS? 



Une revue de la littérature en psychologie du sport m'a amené à isoler 6 SOURCES DE MOTIVATION, certaines dites "intrinsèques", c'est à dire en lien direct avec la pratique du sport, d'autres dites "extrinsèques", c'est à dire liées à des bénéfices découlant indirectement de la carrière à haut niveau.

Parmi les sources intrinsèques :
- le dépassement de soi : faire du sport pour se challenger, se dépasser, progresser, battre ses propres records. 
- la recherche d'émotions : la pratique du sport est alors fortement associée à la recherche de bien-être. On retrouve par exemple cette motivation chez des sportifs en fin de carrière, qui estiment qu'ils n'ont plus rien à "prouver", et continuent "pour le plaisir".
- le goût de la compétition : le sport de haut niveau donne l'occasion de se confronter aux autres. Les personnes qui ont un esprit de compétition développé, qui s'évaluent par rapport aux autres, qui ont le besoin d'être le (la) meilleure(e) trouvent dans le sport de haut niveau un terrain de jeu particulièrement propice.

Parmi les sources extrinsèques :
- la reconnaissance sociale : le haut niveau est associé à une forme de célébrité. Etre admiré, reconnu, apprécié du grand public et des médias peut clairement être un moteur pour certains sportifs.
- la reconnaissance des proches : le haut niveau est souvent une affaire de famille. Répondre aux attentes conscientes ou non d'un parent, d'un entraîneur, d'un conjoint est souvent au coeur de la motivation du sportif.
- le niveau de vie : dans les sports les plus médiatiques, les carrières sont fortement rémunératrices. L'argent est ainsi un puissant moteur pour les personnes, en particulier lorsqu'elles viennent de milieux sociaux modestes.

Le profil de motivations est différent d'un sportif à l'autre. Prendre conscience de son profil s'avère un réel atout pour un sportif désireux de gérer au mieux sa carrière. Cette connaissance est également essentielle pour le staff, que ce soit pour recruter le sportif ou pour jouer sur les bons leviers de motivation au quotidien.