Lors d’une conférence organisée par IBM sur la gestion des talents, Daniel Costantini, l’ancien « sélectionneur » de l’équipe de France de handball, a mis le doigt sur une curiosité de langage. Il s’étonnait que les médias et le grand public l’aient au cours de sa carrière souvent désigné comme le « sélectionneur » de l’équipe de France de Handball, plutôt que comme son « entraîneur ».
Je repends son étonnement à mon compte. Pourquoi
utilise-t-on majoritairement le terme de « sélectionneur » pour
décrire la fonction occupée par Didier Deschamps (football) ou encore Claude
Onesta (handball) ?
L’acte de sélection est certes une composante essentielle de leur fonction. Prendre les meilleurs joueur possibles
est à la fois une clé du succès et un challenge compliqué, tant les critères à
prendre en compte sont nombreux : expérience, qualités techniques et
physiques, forme du moment, personnalité, motivation, relationnel avec le staff
et les autres athlètes, etc.
Cependant le rôle de recruteur n’est que l’un des aspects d’une fonction
nettement plus complexe.
Pour amener un groupe à la haute performance, bien sélectionner les joueurs ne
suffit pas. Il faut aussi fixer des objectifs, assigner des tâches, organiser
son staff, encourager les joueurs, donner du feedback, savoir féliciter ou
encore recadrer.
Pourquoi toutes ces activités, toutes aussi nobles et importantes pour la
réussite sportive que le seul acte de sélection, sont-elles occultées par le
langage courant ?
Une première explication : ces activités post-sélection sont moins
visibles. Là où l’acte de sélection est par définition public et souvent
fort médiatisé, les autres activités de management se font majoritairement dans
l’intimité du groupe, voire de la relation interindividuelle avec chaque membre
du staff et de l’équipe.
Je vois un deuxième élément d’explication :
l’acte de sélection est spectaculaire.
Il y a les élus et les déçus. Il peut créer des destins exceptionnels, ou au
contraire briser des rêves et des carrières. Il peut générer des dissensions et
des rancunes tenaces. En d’autres termes, l’acte de sélection porte en lui les
ingrédients du fait divers. Bien plus
que le fait de féliciter un joueur ou de réaliser un briefing avant un match.
Enfin, l’utilisation du terme
« sélectionneur » est aussi une
manière d’accentuer la différence avec
le rôle de l’entraîneur de club. Pour l’entraîneur de club, la
question de la constitution du groupe ne
se pose qu’une à deux fois par an, à l’occasion du mercato. Par ailleurs,
l’entraîneur de club vit en quasi continu avec les joueurs et le staff, là où
le sélectionneur ne vit avec son groupe que par intermittence. Le ratio « sélection »
vs. « autres activités de management » est donc plus élevé pour
l’entraîneur national que pour l’entraîneur de club, ce que le langage commun
met donc implicitement en évidence en qualifiant l’entraîneur national de
« sélectionneur ».